Extrait du Manuel d’écriture et de survie de Martin Page, lu sur Tiers-Livre :
Ma relation avec internet et le numérique est complexe. J’ai un blog depuis six ans. Il m’a permis de faire des rencontres et de réfléchir à ma pratique. J’y parle de mon quotidien d’auteur, j’y esquisse des idées, j’y partage mes lectures. J’ai un site web aussi. J’y rassemble les textes que j’ai écrits pour la presse, ainsi que mes home made books et des vidéos en stop motion. On y trouve une biographie et ma bibliographie. C’est mon quartier général.
J’étais très idéaliste au début. Puis j’ai vu que le dialogue sur internet n’était pas plus simple qu’ailleurs. L’écoute est difficile et l’embrasement rhétorique favorisé. Les réseaux sociaux sont faits pour ceux qui ont un certain talent social. C’est toujours la cour de récréation. Mais on arrive à rencontrer des alliés sur le Net, on y trouve des places ombragées pour la conversation, on y bâtit des lieux de résistance et de création. L’agora est là. On peut parler littérature et politique. Ça crée du bordel, c’est certain, mais aussi de grandes choses. J’apprends, encore et toujours, à me débrouiller avec ça. Ma relation à internet n’est pas différente de ma relation avec l’espace social déconnecté.
Je me sers des réseaux sociaux avec parcimonie (j’utilise sporadiquement Twitter pour échanger des liens, et j’ai une page officielle sur Facebook). Je n’ai pas de smartphone, mais un bon vieux dumbphone sans internet pour ne pas être sollicité en permanence. Pour lire les blogs (grâce à un agrégateur) et les livres numériques, pour écouter des podcasts et écrire dans le train, j’utilise une tablette sans connexion au réseau téléphonique.
Je dois te remercier de m’avoir indiqué l’existence de ce logiciel, si justement nommé Freedom, qui permet de se déconnecter d’internet pendant le temps désiré. C’est une aide précieuse. Internet est un territoire qui demande à être pensé et apprivoisé, les grandes compagnies ont pour but de capter notre attention et de nous vendre le maximum de choses. Créer et entretenir notre addiction est leur travail. Il faut apprendre à se défendre. J’ai installé le logiciel ce matin et j’en suis très content. Le numérique me passionne et dans le même temps je travaille à me tenir à distance (mais c’est la position que je tiens dans tous les aspects de l’existence, finalement).
L’enjeu est de continuer à participer aux forces créatives et politiques qui se déploient sur internet tout en restant critique à l’égard des tentatives de contrôle et de surveillance. Connexion et déconnexion sont des arts de vivre. Je viens de lire un article qui parle de ces dirigeants de société technologique qui envoient leurs enfants dans des écoles sans écran : ils écrivent à la main, dessinent, bricolent, font du tricot, jouent de la musique. La déconnexion sera bientôt un privilège des classes privilégiées, et la connexion permanente une addiction du peuple.